TARTARAS
D'après les actes paroissiaux 1673-1792

 

III. Les gens de Tartaras et leurs métiers à travers les actes. :

6. Les gens du canal.

    Nous n'allons pas raconter l'histoire passionnante et mouvementée du canal de Givors, d'autres l'ont fait et nous en trouvons des éléments intéressants sur internet par exemple… contentons nous ici de rappeler les grandes dates de cette construction qui bouleversa la vie de notre vallée et eut des retentissements sur notre paroisse de Tartaras.

    Le 6 septembre 1761, des lettres patente du roi Louis XV autorise la construction d'un canal entre Givors et Rive de Gier.

    Depuis 76 ans, puisque le procès-verbal de réception de ses travaux date du 13 juillet 1684, sous Louis XIV, "un canal de jonction des mers en Languedoc" était réalisé, c'est le célèbre "canal des deux mers" ou canal du midi, œuvre de l'architecte biterrois Pierre Paul Riquet (1604-1680). Cette réalisation pharaonique pour l'époque avait fait germer d'autres projets dans l'esprit d'entrepreneurs inventifs. Et pour notre vallée, Barthélemy Aléon de Valcourt avait conçu en 1749 des plans pour relier, entre Givors et Andrézieux, le Rhône à la Loire et ainsi la Méditerranée à l'Océan, ce serait là un nouveau canal des deux mers ! Mais faute d'appuis, ce projet fut abandonné en 1751.

    Cependant l'idée était lancée et c'est un audacieux horloger lyonnais du nom de François ZACHARIE qui reprit le projet et finit par obtenir, en 1760, l'autorisation de construire une voie d'eau, mais seulement entre Givors et Rive de Gier.

    Les autorités avaient bien compris l'intérêt de cette entreprise avec l'essor de l'utilisation du charbon de terre ou de pierre comme on l'appelait à l'époque. Ce nouveau combustible relayant le bois était connu dans la région depuis longtemps, dès 1187 le nom de Saint-Genis-Terrenoire est mentionné dans les terriers comme un lieu où ce charbon affleurait à la surface du sol. Des carrières et des mines furent probablement exploitées à Rive de Gier depuis le XV° siècle pour l'usage domestique (1). Par la suite le charbon sera utilisé dans la vallée pour les premiers ateliers de métallurgie : cloutiers, forgeurs d'outils en particulier.

    Au milieu du XVIII° siècle, les verriers ESNARD et ROBICHON venant d'Alsace et de l'Est du royaume où le bois devenait rare pour la poursuite de leur industrie, s' installent à Givors et ouvrent, le 3 juillet 1749, la première verrerie royale de la vallée utilisant pour ses fours le charbon de terre (2). En même temps Lyon était de plus en plus demandeur de ce combustible pour le chauffage de ses habitants.

    Ce fut une véritable révolution pour l'économie de la vallée, car tout ce transport était assuré jusque-là par les "voituriers par terre" et une multitude de mulets de bât (3).

    La construction du canal allait permettre à une seule barque transportant deux tonnes et demie de charbon et tirée par quelques hommes, les "margoulins", de remplacer environ 30 à 40 mulets de bât portant chacun 60 à 80 kilos sur leur dos. Au retour les bateaux pourraient transporter aussi le fer destiné aux "forgeurs" de la vallée et les matériaux destinés à la construction.

    Nous savons que la construction de ce canal fut très laborieuse, des ouvrages s'écroulèrent à peine construits, par ce que mal construits. Les travaux furent suspendus et François Zacharie mourut ruiné en 1768 : tout semblait devoir tomber… à l'eau !

    Mais en 1770, son fils Guillaume obtint de nouvelles lettres patentes royales pour poursuivre l'ouvrage de son père, et le 31 décembre, constitue pour cela une nouvelle compagnie dont il sera finalement exclu, à peu près ruiné lui aussi.

    Enfin en mai 1780 le canal, sur 16 km et avec 26 écluses, reliait enfin Rive-de-Gier à Givors, les travaux avaient duré une vingtaine d'années !

    Comme c'est souvent le cas dans les entreprises humaines, ce sont d'autres que les inventeurs qui bénéficièrent des revenus d'un canal devenu très rentable jusqu'à la création du chemin de fer qui le remplaça en 1830 (4).

    L'autoroute construite sur son tracé le fera disparaître du paysage, à quelques vestiges près que nous croisons maintenant à 110 à l'heure (4) ou qui se trouvent enfouis dans la végétation (5).

    Sur la commune de Tartaras nous avons encore aujourd'hui quelques vestiges importants de cette réalisation comme le tunnel de la "roche percée", foré sur une centaine de mètres de long et cinq de large pour le passage du canal, la grande écluse N° 21 inscrite à l'inventaire du patrimoine industriel et l'écluse de la Valanière, 800 mètres en amont. (6)

    Si nous revenons maintenant à nos actes paroissiaux, nous trouvons naturellement la trace de gens nouvellement venus pour la réalisation des travaux et logeant temporairement sur la paroisse. Il s'agit surtout d'entrepreneurs dont la résidence devait suivre l'avancée de l'ouvrage… Nous ne trouvons pas de trace des ouvriers proprement dits dans nos actes, alors que les archives départementales du Rhône gardent quelques souvenirs à leur sujet en mentionnant de rares exactions dont ils auraient été les protagonistes !…(7)

    Lisons quelques actes trouvés entre fin 1778 et début 1780 année de la fin des travaux :

    Jean François ROUX fils légitime de Sr Jean Pierre ROUX entrepreneur dans les travaux royaux de cette généralité de Lyon et depuis plusieurs mois occupé et habitant en la parroisse de Tartaras pour les ouvrages du canal royal de Givors, et de Delle Jeanne PERRICHON, est né ce jourd'hui audit Tartaras et a été baptisé dans l'église dudit Tartaras par moi soussigné curé de ladite paroisse le vingt trois décembre mil sept cent soixante et dix huit. Le parrain a été François DURAND fils d'autre François et la marraine Pierrette SABOT fille de Pierre tous deux honnêtes laboureurs de la même paroisse qui ont signé avec le père de l'enfant et autres.
    François DURAND Pierrette SABOT ROUX Jean Marie SABOT AUQUIER Curé.
    (Photo 317)

    Jean Pierre VARENNE fils légitime de Pierre VARENNE occupé aux ouvrages du canal royal de Givors habitant de St Paulien diocèse du Puy en Vellay et de Thérèse VAS né ce jourd'hui a été baptisé dans l'église de Tartaras où il est né par moi soussigné curé dudit lieu le second février mil sept cent soixante et dix neuf. Le parrain et la marraine ont été les mariés Sr Jean Pierre ROUX entrepreneur dans les ouvrages royaux et dudit canal résidant ici et Delle Jeanne PERRICHON son épouse qui a déclaré ne saavoir signer de ce enquise, le père et la marraine ont signé.
    VARENE ROUX AUQUIER Curé.
    (Photo 320)

    Gabrielle fille légitime d'Antoine VIELLEN tailleur d'habits à la suite des entrepreneurs du canal de Givors, originaire du Château Dauphin en Piémont, et de Marie Catherine BOUVET du même païs, est née rière la paroisse de Tartaras et a été baptisée le deux novembre mil sept cent soixante et dix neuf dans l'église et par moi soussigné curé dudit Tartaras. Le parrain a été Claude BOULIN pionnier employé au canal originaire de St Ferréol en Vellay et la marraine Gabrielle LEGER aussi à la suite dudit canal fille de Jean à son décès habitant de Rochetailée en Forest. Le père a signé non les parrain et marraine qui ont déclaré ne le savoir de ce enquis, en présence des soussignés.
    Antoine VIELLEN Charles VIELLEN Pierre GRANJON AUQUIER Curé.
    (Photo 325)

    Jean Pierre fils légitime de Sébastien VARENNE originaire du Vellay et sous entrepreneur au canal de Givors résidant à présent à Tartaras et de Jeanne Marie DENIS, né le premier jour de l'an, a été baptisé dans l'église et par moi soussigné curé de Tartaras le troisième jour de janvier de l'an mil sept cent quatre vingt. Les parrain et marraine ont été les mariés Jean Pierre ROUX soussigné entrepreneur des ouvrages royaux et dudit canal et Jeanne PERRICHON qui a déclaré ne savoir signer de ce enquise.
    Jean-Pierre ROUX AUQUIER Curé.
    (Photo 327)

    Quand le canal fut enfin opérationnel, nous trouvons dans les actes de Tartaras, à partir de 1783, un nouveau métier, celui d'éclusier. Nous en rencontrons au moins trois : Les beaux-frères Antoine CONVERSEL et Jean TIVILLIER et Claude CELLE.

    Antoine CONVERSEL, fils de cloutier de Valfleurie, lui-même cloutier lors de son premier mariage à Tartaras avec Jeanne DURAND, est dit éclusier lors de la naissance de leur premier enfant :

    Le vingt neuf août mil sept cent quatre vingt trois est née et par moi soussigné a été baptisée dans l'église de Tartaras Catherine CONVERSEL fille légitime d'Antoine CONVERSEL éclusier du canal, rière cette paroisse et de Jeanne DURAND. Ses parrain et marraine ont été les mariés François DURAND laboureur à Tartaras qui a signé et Catherine BRUYAS sa femme, ses grand-père et grand-mère, laquelle a déclaré ne le savoir, de ce enquise.
    F. DURAND AUQUIER Curé.
    (Photo 362)

    Catherine meurt le lendemain de sa naissance. Ils auront encore une fille, Benoîte, baptisée le 3 avril 1786 , et décédée à 2 ans et un fils François baptisé le 20 juillet 1787 et décédé à 5 jours. Jeanne DURAND meurt le premier août 1791 et Antoine CONVERSEL, toujours éclusier, se remarie le 13 septembre avec Jeanne JOURNOUD dont le père est aussi éclusier.

    Jean TIVILLIER n'est nommé qu'une seule fois, lors du baptême de sa fille Jeanne :

    Le quinze novembre mil sept cent quatre vingt quatre, je soussigné curé de Tartaras ai baptisé dans l'église dudit lieu Jeanne née d'hier fille légitime de Jean TIVILLIER éclusier du canal riere cette paroisse et de Marie CONVERSEL. Ses parrain et marraine ont été les mariés Antoine CONVERSEL et Jeanne DURAND demeurant en la même maison éclusière ses oncle et tante, lesquels ont déclaré ne savoir signer, de ce enquis.
    AUQUIER Curé.
    (Photo 370)

    Claude CELLE apparaît le 17 avril 1786 lors du baptême de ses jumelles Marie Barbe, qui décèdera à trois mois, et Jeanne Catherine. Son épouse est Marie Anne LEGER :

    Le dix sept avril mil sept cent quatre vingt six je curé soussigné ai baptisé dans l'église de Tartaras Marie Barbe née hier jour de Pâques fille légitime, jumelle et première née de Claude CELLE éclusier riere cette parroisse et de Marie Anne LEGER. Le parrain a été Sr Jean Baptiste PITRA faisant son cours de … (?) à Rive de Gier et la marraine Delle Marie Barbe PROST épouse du Sr NOVALLET bourgeois audit bourg de Dargoire parroisse de Tartaras qui ont soussigné cy dessous avec le parrain et la marraine de la dernière venue. Ledit jour dix sept avril mil sept cent quatre vingt six je curé soussigné ai baptisé dans l'église de Tartaras Jeanne Catherine née hier jour de Pâques fille légitime jumelle et dernière née de Claude CELLE éclusier riere cette parroisse et de Marie Anne LEGER. Le parrain a été M° Jean Floris BIDAULT notaire royal et apostolique à Rive de Gier et la marraine Delle Catherine CHOREL son épouse dudit Sr BIDAULT qui ont signé avec lesdits Sre parrain et marraine de la sœur première venue.
    Femme NOVALLET PITRA CHOREL BIDAULT ….. AUQUIER Curé.
    (Photo 383)

    Il aura encore un fils, Jean Claude baptisé le 3 juin 1788 et qui décèdera à le 26 mars 1790, sur l'acte de décès, un certain Jacques CASTAING, beau-frère du père de l'enfant est aussi dit éclusier :

    Jean Claude CELLE agé d'environ trois ans moins deux mois fils légitime de Claude CELLE éclusier riere la paroisse de Tartaras et de Marie Anne LEGER a été enseveli dans le cimetière, et par moi soussigné ancien curé dudit Tartaras le vingt six mars mil sept cent quatre vingt onze, en présence de son ddit père, de Jâques CASTAING son beau frère de Jean JOURNOUD tous deux éclusiers, et de Benoît CELLE son frère qui a signé avec ledit CASTAING, non les autres illitérés de ce enquis.
    CASTAING SELLE AUQUIER ancien curé.
    (Photo 402)

    Au début de l'exploitation du canal, les éclusiers semblent donc se recruter donc dans les mêmes familles.

    En terminant ce chapitre, il faut encore dire que les actes de Tartaras se font aussi l' écho de morts accidentelles par noyade dans le canal, par exemple Jean Marie Drevet cordonnier à St Romain le 23 juillet 1781 ou Anet Rolland maçon et charpentier de Rive-de-Gier le 2 juin 1789.

    Jean Marie DREVET cordonnier à St Romain en Gier tombé hier et s'étant noyé dans le canal de Givors agé d'environ 40 ans, sur l'invitation de Mr LECOURT capitaine chatellain de la Baronnie de Chateauneuf et Dargoire en date d'hier et signée Lecourt chatellain, a été enseveli dans le cimetière de la paroisse de Tartaras rière laquelle il s'est noyé et par moi soussigné curé de ladite parroisse le vingt quatre juillet mil sept cent quatre vingt un en présence de Jean BOUSSU laboureur dudit Tartaras son neveu soussigné, de Pierre BRET laboureur sonneur soussigné et de Claude PINGON son beau frère illitéré habitant dudit St Romain.
    Pierre BRET BOUSSU AUQUIER Curé
    (Photo 342)

    Le sept juin mil sept cent quatre vingt neuf, d'après une ordonnance de ce jour rendue Mgrs les officier de cette juridiction, je soussigné ancien curé de Tartaras ai enseveli dans le cimetière de cette paroisse le corps d'Anet ROLLAND maçon et charpentier à Rive-de-Gier depuis la nuit du 1° au second jour de ce mois et seulement retiré aujourd'hui rière cette paroisse sans y avoir trouvé ni coup ni blessure et reconnu pour tel agé d'environ trente six ans par Jeanne JOLIVET son épouse absente au moment de la sépulture, par Anet Jean et Jean Claude ROLLAND ses frères, par Charles PATELIN, Jean Louis DESCRINAS et Floris OGIER ses beaufrères tous habitants dudit Rive de Gier ici présents qui ont déclaré ne savoir signer de ce enquis ainsi que par les mariés Antoine JOLIVET et Marie anne PRIVAS aussi ses beaufrères et cousins illitérés et demeurant audit Tartaras et une foule d'autres.
    Annet ROLLAND AUQUIER Curé
    (Photo 411)

    Il semble donc qu'à l'époque personne ne savait nager, sauf, il faut l'espérer, les mariniers ! Quand le 8 août 1733 une "barquette" de Givors sombra en heurtant sur le Rhône les moulins de la Quarantaine à Lyon, tous les nombreux passagers périrent en effet, seul le marinier de Givors qui savait nager, sauva sa vie…

    NOTES :

    (1) Cf. "Le bassin minier de la vallée du gier " de Gérard Chaperon (Actes Graphique 2004).

    (2) Le 10 mai 1749, le roi Louis XIV avait autorisé les Sieurs Esnard et Robichon à construire une verrerie à Givors dont les fours pourraient donc fonctionner au charbon de terre de Rive-de-Gier. Jusque-là ces Maîtres verriers exerçaient leur art en Franche- Comté, leur région d'origine, et en Alsace, mais les forêts, à cause du bois nécessaire, menaçaient de s'épuiser et ils durent s'expatrier. Nous trouvons le 12 avril 1779, le mariage à Tartaras d'Antoine RICHARD avec Antoinette GELAS de St Romain. Fils de feu Claude et d'Antoinette PAVY, Antoine est dit "au service des Srs ROBICHON frères propriétaires de la verrerie royale de Givors".

    (3) On a évalué en 1760 à 1.200 le nombre de mulets de bât employés au transport du charbon de terre. Voir détails : http://www.ville-givors.fr/decouverte/histoire/histoire_givors_2.html

    (4) Le 7 juin 1826, Marc Seguin reçu du roi Charles X l' autorisation de construire une ligne de chemin de fer de 56 km entre Saint-Etienne et Lyon. Il fallut acheter environ 900 parcelles de terrain, étudier la pente, percer trois tunnels (La Mulatière, Couzon, Terre-Noire), construire au moins deux ponts (ponts d'Izieux et pont d' Ouzion), mais rien n'arrêta le célèbre ingénieur. Le premier tronçon entre Rive-de-Gier et Givors fut ouvert le 28 juin 1830 au service des marchandises notamment du charbon. La prolongation du canal jusqu'à Grand-Croix vers 1830, n'enrayera pas la concurrence du chemin de fer. Pour l'histoire du canal voir l'excellent site : http://membres.lycos.fr/bgoirand/canal/accueil.htm

    (5) L'autoroute, projetée depuis longtemps fut décidée en 1965 et mise en service en 1970. Même s'il est permis de regretter le chamboulement du paysage qu'elle a provoqué, personne ne voudrait retrouver les conditions de la circulation dans la vallée du Gier avant son ouverture !… Devenue insuffisante et "accidentogène", cette autoroute attend d'être doublée par une autre…

    (6) Des travaux de mise en valeur de ce patrimoine sont cependant entrepris aujourd'hui… voir : http://www.reseau-patrimoine.net/article.php3?id_article=370

    (7) Coups et blessures sur le chantier du canal de Givors, 22 juin 1778. (2 B 124) Plaintes contre 3 ouvriers du canal pour injures et voies de fait, 1° décembre 1779. (2 B 125)

Marc ROCHET