TARTARAS
D'après les actes paroissiaux 1673-1792

 

III. Les gens de Tartaras et leurs métiers à travers les actes. :

Après les quelques généralités précédentes, entrons maintenant dans le vif du sujet pour aborder ce qui fera l'essentiel de cette modeste publication.

Rien de tel que les occupations des gens pour connaître un peu leur vie !
Pour les découvrir il faut d'abord analyser les actes de baptême qui très souvent indiquent le métier des pères, puis les actes de sépultures où sont mentionnées les occupations des défunts et celles des témoins.

Ainsi nous rencontrerons des "gens de la terre", vignerons, laboureurs, fermiers ou grangers, gens de labeur, journaliers. Nous rencontrerons aussi des voituriers, des meuniers, des artisans et marchands, boulangers, bouchers, maîtres tisserands ou tailleurs d'habits, maçons et charpentiers, forgerons, maréchaux et autres artisans du fer. Nous rencontrerons encore les notables, curés, notaires et autres officiers de l'administration seigneuriale mais aussi tous ces humbles qui étaient dévoués à leur service et nous terminerons par les nourrices qui, à cette époque, occupaient une place importante dans l'économie villageoise…

Voulant rencontrer des hommes de chair et de sang et non des simples objets d'une étude de sociologie historique, je prendrai souvent plaisir à citer les noms de ces personnages dont descendent tant de généalogistes de notre vallée qui s'efforcent de les sortir de l'oubli dont tant d'années les ont recouverts.
La sagesse des anciens Egyptiens disait "Nommer un mort, c'est le faire revivre…".
Que le lecteur sache donc découvrir ici autre chose que de fastidieuses litanies, mais une reconnaissance respectueuse de ces hommes à qui nous devons une part de ce que nous sommes. Que le lecteur puisse deviner la vie comme suintant de ces deux gros registres feuilletés à Tartaras !

1. Les gens de la terre.

Comme il fallait s'y attendre, le gros de la population des XVII° et XVIII° siècles est constitué de "gens de la terre", Sully (1560-1641) ne disait-il pas que labourage et pâturage étaient les deux mamelles de la France ? Sur les pères recensés dans les actes de baptême, 216 environ vivent de la terre et ils sont, par ordre d'importance en nombre, vignerons, laboureurs, gens des labeurs, journaliers, fermiers ou grangers, journaliers.

  • Les vignerons.

    Selon les actes de baptême de leurs enfants, certains sont dits vigneron ou laboureurs ou vignerons et laboureurs. Ainsi nous avons 87 mentions de vignerons dont 19 sont dits ailleurs laboureurs.
    Nous avons 52 mentions de laboureurs dont 19 sont dits ailleurs vignerons
    Nous avons 21 mentions de laboureurs et vignerons dont 4 sont simplement dits ailleurs laboureurs.
    43 de ces vignerons sont dits habiter Tartaras proprement dit,
    29 le Bourg de Dargoire, 15 Murigneux, 1 le Pont de Perseÿ.
    Dans les actes de sépultures, nous trouvons 79 mentions de vignerons dont deux sont dits ailleurs laboureurs, nous trouvons aussi 7 mentions de laboureurs qui sont aussi dits vignerons.

    S'il est vrai que la vigne était une culture très courante sur les coteaux de notre région, puisque à Lyon même les pentes de la Croix-Rousse mais aussi celles de Fourvière en étaient couvertes, ces chiffres nous disent bien la prédominance de la vigne à Tartaras dans les temps que nous étudions. Le sol et l'exposition s'y prêtaient admirablement. Assez peu transportable à l'époque, le vin devait trouver de bons débouchés (c'est le cas de le dire pour les bouteilles !) sur place et dans les proches agglomérations. Les mineurs de Rive-de-Gier, par exemple, en furent de grands consommateurs, la poussière du charbon de terre asséchant leurs gosiers.

    Le phylloxéra, au cours de la deuxième moitié du XIX° siècle, a du bien changer le paysage de ces coteaux, mais il y a encore des vignes et des vignerons à Tartaras. Par exemple, Monsieur et Madame Morel de Murigneux qui m'ont très gentiment ouvert la maison natale de Charles Boussu que nous avons déjà évoqué, m'ont dit qu'ils faisaient aujourd'hui encore le vin de leur consommation…

    Clément Desgranges écrit dans la Grande Encyclopédie du Forez :
    "Nous voici sur la route venant de Rive-de-Gier, les petites parcelles de vignes si admirablement travaillées, que nous apercevrons bientôt, sont là pour nous dire que les hommes ont toujours compté pour rien leur peine pour cultiver ce coin du Jarez à la fois si amical et si perdu."

    Je ne résiste pas au plaisir de citer aussi,
    Pierre Goubert dans "la vie quotidienne des paysans français au XVII° siècle" :

    "Un vigneron au XVII° siècle, c'est strictement celui qui sait travailler la vigne. Ce qui signifie d'abord être attentif à la vigne, aller la voir, la "sentir" en quelque sorte, tous les deux ou trois jours; lui consacrer de longues journées pour la bêcher, la fumer, la re-bêcher, la tailler - œuvre de précision, d'intuition et de qualité -, revenir briser les mottes, enlever l'herbe, nettoyer les ceps, ficher les "paisseaux" ou échalas, leur attacher (pas trop étroitement) les branches avec l'osier rouge qui a été récolté au bout du rang, revérifier les liens, surveiller le départ des "lames", futures grappes, enlever au besoin le surplus; épamprer (ôter les feuilles en surnombre qui gêneraient le mûrissement des grains); refouir, toujours à la main avec bêche, hour, ou autre instrument local; discuter avec les voisins pour faire déterminer (souvent par le seigneur) le "ban" des vendanges; engager les vendangeurs, "coupeurs" comme "hotteurs", avoir préparé paniers et hottes – d'osier ou de bois -, le moyen de transport (une "bourrique" le plus souvent) pour conduire les grappes à la cuve et au pressoir (seigneurial ou non ); et par la suite présider aux complexes, lentes et précises activités qui suivent le pressurage… En outre, prévoir le renouvellement des ceps en marcottant en temps utile, et l'emplacement des vignes futures, puisque le "bouture" ou "plant" ou provin attendra trois ans avant de produire. L'énumération est presque infinie, et nous ne disons rien du travail de la cave ou du cellier, ni de ces pratiques qui varient d'une région à l'autre, ne serait-ce que la hauteur des ceps…"

    Quand le phylloxéra nous arriva d'Amérique (tout ce qui vient du Nouveau Monde n'est pas forcément bien !...),
    il détruisit plus de la moitié du vignoble français et réduisit la production des deux tiers,
    ce fut une véritable catastrophe.

  • Les laboureurs.

    Après les vignerons viennent les laboureurs.
    Nous avons dans les actes de baptêmes, toujours pour notre période de 130 ans, outre les 21 laboureurs et vignerons que nous avons déjà notés, 52 laboureurs dont 19 sont parfois dits vignerons.
    Dans les actes de sépultures nous trouvons encore 31 mentions de laboureurs.

    Le travail du laboureur, c'est de travailler la terre pour lui faire produire les grains, le "bled", à savoir surtout le froment et le seigle nécessaires pour le pain qui était la base de la nourriture. Gagner son pain à la sueur de son front n'était pas alors qu'une image !

    Comme le vigneron de sa vigne, le laboureur était "propriétaire" de son champ, il le travaillait pour lui, même si la notion de propriété sous l'ancien régime était différente de la nôtre. En effet, les terres appartenaient théoriquement au seigneur qui en était le propriétaire éminent et le paysan n'en était que l'usager, il tient sa terre certes, mais il la tient du seigneur à qui il doit, chaque année, les redevances définies dans les terriers : sa propriété, même s'il peut la léguer, est donc relative.
    Propriétaire de son champ, le laboureur était aussi propriétaire de sa charrue ou de son araire et de ses animaux de trait.

    Comme les vignerons, nous rencontrons les laboureurs dans tous les lieux de la paroisse.
    Citons, par exemple, quelques familles, il est impossible de les énumérer toutes !

    A Tartaras même nous trouvons les très nombreux,
    JOURNOUD dont Antoine (1678), Dominique (1697) , Pierre (1741) et Jean-Claude (1758),
    mais aussi les GIRARD avec Maurice (1761) et Jean (1792),
    ou encore les BALLEY avec Simon (1750) et Jean (1790)…

    Au Bourg de Dargoire,
    nous trouvons les DURAND avec François (1747) et Sébastien (1779),
    les FECHET avec Pierre (1757) et Jean Pierre (1784)…

    A Murignieux enfin nous trouvons,
    les BLANCHERY avec Philippe (1688) et Etienne (1757),
    les BOUSSU avec Etienne (1742) et Jean (1767)
    les SABOT avec Pierre (1753),
    les MOREL avec Antoine (1746), Jean (1746), Simon (1783),
    les VIAL avec Claude (1767), Jean (1788), Pierre (1767),
    les CONDAMIN Philibert (1683), Floris (1684), Jean (1715)…

    Devenu aisé sinon très riche, le laboureur pouvait devenir "marchand", sans doute parce qu'il pouvait vendre une partie de ses récoltes. Etre marchand était un titre, une reconnaissance sociale, autant qu'une fonction.
    Nous rencontrons cette appellation pour une douzaine de personnages à Tartaras :

    Ce sont Etienne BRET (+ après 1652),
    Philippe LAURENSON (+ 1697),
    André GRANJEAN (+1710),
    François CHOLET (+ 1719),
    Jean BRET (+ avant 1734),
    Dominique JOURNOUD (+ 1765),
    Jean GAUTIER (+ 1765),
    Jean BRET (+ 1781),
    Antoine CHOLLET (+ 1780),
    Laurent BRET (+ 1789),
    Jean-Baptiste BRET (+ 1805).

  • Les gens de labeur.

    Ensuite nous rencontrons une autre catégorie, les "gens de labeur" (et aussi, une fois, "gens de travail"). Nous les voyons apparaître, assez nombreux, à partir de 1708 et jusqu'en 1778 sur les actes de Tartaras. Nous trouvons 33 hommes ou couples appelés ainsi.

    Je dois avouer avoir eu beaucoup de peine à saisir ce qu'était exactement l'emploi de ces hommes (et femmes). La consultation de beaucoup de dictionnaires anciens ou modernes ne nous apporte rien sur cette appellation qui leur semble inconnue…

    Il est sûr que les mots "labeur" et "labour" trouvent la même origine dans le latin "labor" qui signifie travail. En effet, l'un des premiers travaux de l'homme, dès qu'il s'est sédentarisé, n'a-t-il pas été de cultiver la terre, de la labourer, de la travailler ? Aussi, sans risque de nous tromper, nous pouvons affirmer que, comme les laboureurs, les "gens de labeur" étaient des gens qui travaillaient la terre.

    Alors faut-il affirmer que "laboureurs" et "gens de labeur" désignaient la même chose, puisqu'ils devaient accomplir le même travail?…

    En effet, nous rencontrons, toujours dans les actes de baptêmes, des exemples qui semblent bien abonder dans ce sens :

    Dominique JOURNOUD époux de Jeanne GIRARD est dit laboureur en 1697, vigneron en 1706 et gens de labeur en 1712.

    Jean TONNEYRIEU époux d'Anthoinette JOURNOUD est marchand fermier de M. de CLAPISSON en 1690 et 1692, laboureur en 1694, de nouveau marchand fermier en 1698, enfin gens de labeur en 1709 et 1712.

    Jean PRIVAS, mari de Pierrette SETARON, est gens de labeur en 1716 et laboureur en 1722.

    Antoine JOURNOUD, mari de Catherine BARBOYON, aux baptêmes de ses 12 enfants, après avoir été appelé de nombreuses fois laboureur (1758, 1759, 1761, 1763, 1770) ou honnête marchand (1765, 1767,1772) est appelé une fois honnête gens de labeur (1778) avant d'être de nouveau appelé honnête laboureur (1780) et honnête marchand (1783)…

    Mais, malgré ces exemples et en dehors d'eux, nous pourrions nous demander si l'emploi des deux expressions à la même époque, et sous la même plume, ne voulait pas cependant exprimer une différence.

    Nous avons vu que le "laboureur" était propriétaire de ses outils (charrue, araire…) et de son attelage (cheval, mulet ou bœufs) et aussi propriétaire, au sens de l' ancien régime, de sa terre.

    Ne serait-ce donc pas là, au niveau de la propriété, que pourrait résider la différence ? Nous aurions alors à trancher entre trois possibilités :

    L' homme de labeur serait-il quelqu'un qui n'étant pas propriétaire de terre, laboure la terre d'un autre ? Cet autre pouvant être aussi son père ou son frère… Ou bien, étant propriétaire de sa terre, serait-ce quelqu'un qui emprunte araire et attelage pour la cultiver ? Ou bien encore, n'étant propriétaire, ni de la terre ni des outils de travail, serait-ce quelqu'un qui loue sa force de travail mais aussi tout son savoir faire à un autre ?

    Mais faut-il trancher ? Le débat, lancé sur les "listes de diffusion" ou "forums" auxquels s'adressait une première version de cette étude, fut riche et les hypothèses contradictoires. Mais ce débat semble bien indiquer que l'erreur serait justement de vouloir trancher dans un sens ou dans un autre si nous voulons saisir toute le sens de cette expression "gens de labeur". En effet, s'il faut maintenir que les "gens de labeur" avaient tout le savoir faire du laboureur, faut-il affirmer qu'ils n'étaient pas propriétaires de leurs outils ou de leur attelage ? Peut-être dans certain… Mais nous rencontrons des gens de labeurs qui sont en même temps "voiturier" (4 cas) et possèdent donc au moins une bête de somme…

    Faut-il affirmer alors que les "gens de labeur" n'étaient pas propriétaires de la terre qu'ils cultivaient ? Peut-être, je l'ai cru un temps ? Mais des actes notariés montrent qu'ils pouvaient être assez riches et propriétaires…

    Faut-il affirmer finalement que les "gens de labeur" étaient simplement des laboureurs, donc propriétaires, comme les autres ? Peut-être mais pas toujours, car cela semble faire difficulté quand nous voyons certains "gens de labeur" avoir très peu d'enfants à Tartaras et ne pas y être ebterrés, ce qui semble bien indiquer que non retenus par une propriété de terre, ils quittèrent la paroisse au cours de leur vie…

    Pour conclure cette laborieuse réflexion, il semble bien que l'expression "gens de la terre", qui n'a eu cours qu' un temps à Tartaras, ne veut pas désigner exclusivement une situation d'agriculteur par rapport à une autre, elle est sans doute une expression indéterminée, générale et pouvant englober plusieurs situations différentes, celles que nous venons d'évoquer, quant à la propriété et à l' aisance matérielle.

  • Les fermiers et les grangers.

    Si des terres étaient cultivées par des laboureurs ou des vignerons qui les possédaient, il n'en était pas de même pour les domaines qui appartenaient à des propriétaires qui n'étaient pas agriculteurs et souvent ne résidaient pas sur place mais en ville. La mise en valeur de ces propriétés assez nombreuses à Tartaras était alors confiée à des "fermiers" ou à des "grangers".

    Nous pouvons dénombrer, pour notre période, 19 fermiers et 12 grangers, et les actes nomment plusieurs domaines et propriétaires pour lesquels travaillaient ces hommes et leurs épouses.

    A Tartaras, c'est à dire, sans doute, aux alentour du bourg, nous avons :

     - Le domaine de Damoiselle CHAMPENOY puis de M° Guillaume JARROSSON son fils : Floris COSTE en 1679,     Clément BAJARD en 1697 et Benoît BESSON en 1706 y sont grangers.
     - Le domaine de Monsieur de CYMPRE et de Mademoiselle CYMPRE : Claude REGNIER en 1738 et Claude FEY en     1745 y sont grangers.
     - Le domaine de Dominique GAUTELLE : Claude OLLAGNIER y est fermier en 1716.
     - Le domaine de Messieurs de ROQUEMONT : Jean VIAL en est fermier en 1738.
     - Le domaine de Monsieur DUGAS : François SABOT en est fermier en 1788.

    Au Bourg de Dargoire, nous avons :

     - Le domaine de Monsieur DENUZIERES, Procureur et Consul de Lyon : Joseph CHORETIER y est granger en     1683, Jean COUCHOUD y est fermier en 1709.
     - Le domaine de Maître TIXIER "advocat en Parlement" : Philippe PARADIS en est fermier en 1716, puis Claude     CHAVAROT en 1737 et 1740.
     - Le domaine Mademoiselle NOVALLET : Claude CHAVAROT y est fermier en 1744 et sous fermier en 1747, Pierre     RIVOIRE fermier en 1767.
     - Le domaine de la veuve CLERC : Philibert FURCHIRON y est granger en 1691.

    A Murigneux, nous avons :

     - Le domaine de Monsieur de CLAPISSON de la Cour des Aides à Paris : En sont fermiers les CONDAMIN Jean,     Symphorien en 1683, Floris en 1686, puis Antoine BOUSSU en 1696 et François DURAND de 1706 à 1711.
     - Le domaine de Mademoiselle de ROQUEMONT : Jean BOUSSU en 1743 et Pierre SABOT en 1748 y sont fermiers.

    Enfin nous avons les domaines des moulins du Pont de Perseÿ et du moulin Glatard,
    propriétés BRET-LAURENSON :

     - Le domaine du Pont de Perceÿ ou le domaine du moulin du Pont de Perseÿ : Pierre JOURNOUD y est fermier en     1686, Joseph CONDAMIN en 1717, Antoine TOULIEU en 1717, Jean BESSON en 1742 et 1744 ; Pierre     OLLAGNIER y est granger en 1742.
     - Le domaine du moulin Glatard : Anet ROLAND y est fermier en 1716. En 1717 Benoît OLLAGNIER est dit fermier     de biens de Jean BRET et Jeanne LAURENSON.

    Cette liste est sans doute fastidieuse à la lecture…
    retenons simplement qu'il y avait à Tartaras de nombreux domaines cultivés par des fermiers ou des grangers.

    Mais demandons-nous maintenant ce que recouvrent ces mots "granger" et "fermier".
    Traditionnellement, en France, on distingue les fermiers et les métayers, les premiers payant aux propriétaires une location fixe, le plus souvent en nature, les seconds devant aux propriétaires une partie, souvent la moitié, de leur récolte. (1) Or, à Tartaras, comme dans toute la région semble-t-il, nous ne trouvons pas le terme de métayer, serait-ce que la chose n'existait pas ? En revanche, à côté des fermiers, nous trouvons donc des grangers. Certains auteurs prennent ces deux termes comme des synonymes et disent, un peu rapidement peut-être, que granger, mot que nos dictionnaires actuels ignorent, est l'équivalent local de fermier. Mais alors, pourquoi trouvons-nous deux termes différents, et sous la plume d'un curé aussi rigoureux, pour ne pas dire pointilleux, que Messire AUQUIER ?
    Après bien de vaines recherches, me demandant toujours s'il n'y avait pas une différence réelle entre les deux termes, voici qu' ouvrant le "Littré de la Grand'Côte" (livre de chevet de tout bon lyonnais !), j'appris enfin que le "granger" était le cultivateur qui recevrait un gage pour faire valoir des terres tandis que les récoltes revenaient au propriétaire !
    Si cette définition est la bonne, nous pourrions donc en déduire que la situation du granger était proche de celle du métayer, à cette différence près que ses gages remplaçeraient la part des fruits que le métayer gardait pour lui. (2)
    En fait, nous pouvons établir une équivalence entre "grangers" et "métayers", car les baux de "grangeage" montrent, dans notre région, des variantes dans la rétribution des grangers : ils pouvaient aussi recevoir pour leur travail une partie des fruits récoltés… Nos "grangers" étaient bien des "métayers". (3)

    Notons, en terminant ce paragraphe, que les fermiers, versant une location aux propriétaires, étaient vraisemblablement plus indépendants que les grangers dans la mise en valeur des domaines. La fortune des fermiers dépendait uniquement de leurs récoltes et, sauf les mauvaises années qui pouvaient voir leur appauvrissement, ils pouvaient aussi s'enrichir et accéder au statut de "marchand".

  • Les journaliers.

    Nous arrivons maintenant aux "journaliers". Nous pouvons en dénombrer 28 dans les actes de Tartaras avant la Révolution. (4) Ces gens étaient certainement les moins aisés parmi les gens de la terre car, à la différence des gens de labeur, c'est à la journée, comme leur nom l'indique, qu'ils louaient à d'autres leur force de travail, selon les occasions qu'offraient les saisons et les divers travaux de la vigne ou des champs. Travaillant sous la conduite des autres, ils n' avaient pas besoin de grandes connaissances mais simplement de leur force physique.
    Il ne semble pas que l'expression "gens de la terre", analysée plus haut, puisse les englober.

    C'était des hommes mais aussi des femmes car c'est souvent le couple qui est appelé "journaliers". N'ayant reçu qu'un très maigre héritage ou ayant perdu, par quelque malheur, les biens qu'ils avaient, ils se trouvaient en bas de l'échelle sociale. Ils n'avaient rien ou presque, peut-être quelques poules, de rares moutons ou chèvres, un jardinet pour les légumes mais surtout… leurs bras pour travailler, si bien que dans d'autres contrées on les appelle aussi des "brassiers".

    Comme nous le verrons plus loin, les registres de Tartaras conservent peu de baptêmes d'enfants de journaliers ce qui tend à montrer, non pas qu'ils avaient moins d'enfants que les autres, mais que n'étant ni attachés à un patron, ni attachés à une terre qu'ils ne possédaient pas, leur lieux de résidence et leur paroisse, pouvaient changer plusieurs fois au cours de leur dure existence.

Nous avons vu que l'on pouvait être à la fois laboureurs et vignerons, et nous pouvons bien supposer que tout travailleur de la terre ne devait pas être absolument spécialisé. La spécialisation est une notion assez récente. Les activités du paysan (l' homme du pays), comme ses cultures, devaient être diverses et variées : vignes, champs de froment, de seigle, de pomme de terre, culture de chanvre, de légumes... Il y avait sans doute aussi le soin des animaux pour la viande le lait et le fumier, des animaux pour le travail ou le transport : chevaux de trait, bœufs et mulets, des animaux de basse-cour et cetera… Hélas il n'est pas dans les attributions des actes des registres de nous donner les détails que nous pouvons trouver dans les actes notariés ou encore dans les notes précieuses de Messire Bernard, Curé des Haies (5) .

Après avoir essayé de tirer des registres, je l'espère, une certaine approche de leurs vies, nous arrêterons ici notre nomenclature des "gens de la terre".

NOTES :

(1) Dans le grand Larousse du XX° siècle :

"FERMIER : Qui tient une ferme, qui exploite, moyennant une rente payée au propriétaire, une propriété agricole."

"FERME : Contrat par lequel un propriétaire abandonne à quelqu'un, moyennant une rente ou un loyer, la jouissance d'un bien mobilier : Donner à ferme un domaine, prendre à ferme un domaine. "
Domaine, exploitation rurale louée à ferme. Habitation d'un fermier.

"METAYAGE : forme de bail où l'exploitant et le propriétaire d'un domaine rural se partagent les fruits du sol…
Le métayer, à la différence du fermier : 1° exploite, sauf exception, avec les machines, les animaux et les engrais que s'oblige à fournir le propriétaire; 2° il ne paye pas au propriétaire une redevance fixe en argent, mais il lui livre une part des récoltes, la moitié généralement; 3° il ne jouit pas vis à vis du propriétaire de l'absolue indépendance du fermier, le bailleur a la surveillance des travaux et la direction générale de l'exploitation, et létendue de ce droit est déterminée ou par convention ou par l'usage des lieux. Le contrat de métayage est donc non seulement un mode de louage, mais un mode d'association, donnant lieu chaque année à un règlement de comptes."

"GRANGER ou GRANGIER : Nom donné dans certains pays aux fermiers ou aux métayers."

(2) "GRANGER : Se dit de celui qui fait valoir un domaine, moyennant un gage, les fruits restant au propriétaire.

A Nyons se dit du métayer, mais chez nous le métayage est à peu près inconnu. Breghot remarque que le mot n'existe pas dans les dictionnaires. Mais depuis lors Littré l'a recueilli et l'on s'étonne que l'Académie n'ait pas suivi son exemple." Le Littré de la Grand'Côte par Nizier du Puitspelu Lyon Jean Honoré éditeur 1980

Nizier du Puitspelu étant le pseudonyme de Clair Tisseur (Lyon 1827 – Nyons 1895), membre de l'académie du Gourguillon, mais aussi architecte lyonnais à qui l'on doit, entre autres, les églises du Bon Pasteur et de Ste Blandine.

(3) Le "Dictionnaire historique de la langue française" vient confirmer cette thèse, quand, au mot "grange", nous pouvons lire : "Grange, qui désigne initialement et encore aujourd'hui un bâtiment destiné à abriter les récoltes, s'applique par extension, régionalement, à des bâtiments servant aussi à l'habitation; dans le sud de la France, le mot signifie "métairie (XIIIe siècle)… De grange dérive… granger, ère (1600) ou grangier, ière (1195) "métayer" d'usage dialectal (et courant comme nom de famille). Je remercie Marie Suzanne Mésonnier à qui je dois cette note qui m'avait d'abord échappé.

(4) Bien que leur liste n'ai pas beaucoup d'importance au point de vue historique, ce n'est pas pour cette raison que nous ne la dressons pas ici… Nous pensons seulement qu'une liste de 28 noms serait bien longue voire insupportable pour le lecteur et n'aurait de toute façon pas beaucoup de chance d'être lue ! Mais il est bien clair que ce n'est pas parce que les journaliers étaient parmi les plus pauvres, qu'ils n'auraient pas le droit d'être reconnus…

(5) Voir "Un monument, les notes de Messire Bernard, Curé des Haies" (M. Rochet : geneagier 2006)

Marc ROCHET